just for you

(extrait)

“Et penses-tu que je boutonnerai, sans défaillance prématurée, sur ma poitrine, le gilet pesant et tremblant de tes seins?”

Hans Bellmer, Petite anatomie de l’image

“La femme a faim, et elle veut manger. Soif, et elle veut boire. Elle est en rut, et elle veut être foutue. Le beau mérite! La femme est naturelle, c’est à dire abominable.”

Charles Baudelaire, Mon coeur mis à nu

 

De Pygmalion à Prosper Mérimée,

n’avons nous jamais cessé de pétrifier les femmes jugées dangereuses?

De les maintenir dans un état de reines assoupies?

La Belle au bois dormant et Blanche neige attendent le baiser salvateur du prince charmant,

tandis que les vieillards de Kawabata paient pour passer leurs nuits aux côtés de jeunes filles endormies.

La femme de Malcom est une poupée grandeur nature,

la bouche entrouverte et désirable comme peut l’avoir la Vénus des médecins de Susini.

Désir originaire,

anatomie du désir,

Hans Bellmer nous dit d’”abolir le mur qui sépare la femme de son image”.

Dans quelle mesure donne-t-on vie et âme à une femme morte 

ou une femme “tuée”? 

Le désir de l’antropomorphisme amoureux se joue à ce moment précis du renversement,

du dépassement,

du passage.

Pandore et Eve sont les sacrées putains de tout ce bordel,

qu’elles s’endorment à jamais.

De la femme artificielle à la femme éternelle et fidèle : où l’on prend conscience du corps comme support à projection.

Dialogue entre Corps Conscient (CC) et Corps Aspirant (CA).

CC

Un corps est ce corps propre au départ.

Ce corps de la poupée femme 

est d’apparence unie

et fait de silicium,

d’oxygène 

et de molécules organiques.

CA

La perfection est dans

le lisse,

le net, 

le faux,

celui dont on se contente.

CC

Le corps est en latex.

Le latex est trop mou 

et trop gommeux.

Le latex plie au milieu des membres 

et donne un teint de platre.

CA

Où est-elle quand tu parles d’elle?

CC

“Son expression est assez vide, mais quand je m’exprime sur elle, j’ai l’impression qu’elle me regarde avec un air amusé et blasé. En dépit de ses quatorze ans, c’est comme si elle avait déjà tout vu. Peut-être est-elle l’ombre tridimensionnelle d’un être quadrimensionnel qui incarnerait toute l’histoire sexuelle de l’humanité entière?”

CA

La peau des arbres est en écorces de bois. 

Peut-on dire peau pour un arbre?

CC

Je sais juste que le silicone est ductile,

qu’il incarne la peau,

la carnation de l’humain.

Que nous nommons les tempêtes et les cyclones.

CA

Tu ne sais rien.

L’humain s’incarne, 

parfois il ne s’incarne jamais.

CC

Je sais qu’on perfore le corps humain idéal de 3 manchons aspirants.

CA

On se contente de trouer les espaces que l’on attend vide.

CC

Je sais aussi qu’il y a neuf types de corps

pour treize visages,

qu’on ajoute un anneau dans la nuque,

puis deux câbles pour la fermeture des paupières,

pour simuler l’endormissement.

Tu es belle quand tu dors.

Ta jeunesse est palpable,

tes seins hauts sous la couverture.

CA

Tu ne comprends rien!

Je fais semblant.

Je veux m’évanouir.

Je ne veux pas capter tes yeux engourdis

et ta bite pataude.

Je veux être tranquille.

CC

Mais, 

je veux une fille mignonne et facile à vivre.

Une fille que je peux baiser quand je veux.

CA

Le corps inanimé est le lieu du fantasme,

le terrain d’accomplissement 

personnel, 

personnalisé,

loin du monde,

enfermé dans cette maison

obscure

dans l’intimité reconstituée

à l’identique du modèle 

CC

JE SUIS MALHEUREUX - JE SUIS FATIGUÉ DE ME BRANLER DANS DES CAVITÉS TROP PEU PROFONDES ET DE JUSTIFIER CHAQUE DÉPENSE QUE JE FAIS À L’ÉTAT - AU BOUT DU COMPTE J’EMPOCHE QUE DALLE MÊME PAS DE QUOI BOUFFER CE DONT J’AI VRAIMENT ENVIE - JE SUIS SEUL - COMMENT ON FAIT POUR COMMUNIQUER - JE SAIS PAS C’QUE J’VEUX - J’AIME MA MÈRE - J’AI PEUR - JE SOMBRE - JE SUIS SOMBRE ET PERDU - JE SUIS EN ROUE LIBRE SUR LA ROUTE DU DÉSIR - J’AI MAL AU COEUR - AS-TU UN COEUR? - EN MÊME TEMPS QU’EST-CE QUE J’EN AI À FOUTRE - C’EST DÉJÀ ASSEZ COMPLIQUÉ COMME ÇA - 

CA

Les yeux en face de toi

expriment en miroir

ton âme 

folle

humaine

de posséder un corps,

de le pénétrer

encore

glacé,

sans parole,

sans société

avec la seule contrainte

d’imaginer le souffle 

inexistant,

d’imaginer battre un coeur qui ne bat pas.

CC

IL ME FAUT UN TRUC - UN MACHIN QU’EST LÀ TOUT LE TEMPS - QUI M’AIME ET QUI NE ME JUGE PAS - JE SUIS TROP PAUVRE POUR POSSÉDER UNE FEMME - J’AI PAS LE TEMPS DE NETTOYER LA LITIÈRE D’UN CHAT ET J’AI BESOIN DE BAISER - JE VEUX UNE BOUCHE TENDUE VERS MOI ET QUI ME RÉCLAME TOUJOURS - UNE PEAU FRAICHE ADOLESCENTE ET ÉLASTIQUE - UN CORPS DISPONIBLE ET QUI SENT BON - UNE PETITE FEMME CHÉRIE - JE CARESSE SON FRONT - ELLE DORT ET ELLE NE SE RÉVEILLE PAS -”BIEN SÛR ELLE EST INANIMÉE, MAIS QUI PEUT DIRE EXACTEMENT OÙ COMMENCE LA CONSCIENCE?”

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